Dans la Manche, ces communes à l’épreuve de la montée des eaux

Changer le pansement ou penser le changement ? Autour de Coutances, dans le département de la Manche, les élus aux prises avec l’avancée de la mer ont choisi la seconde option. Leur approche pionnière pourrait faire école.
Sur la plage de Gouville, les géotubes sont restés impuissants face à la tempête Ciara
Sur la plage de Gouville, les géotubes sont restés impuissants face à la tempête Ciara (Crédits : DR)

« A chaque marée d'ampleur, on a le trouillomètre à zéro ». Louis Teyssier, vice-président de la communauté de communes de Coutances, le concède. Cette fois encore, à l'approche des grandes marées de septembre, il retient son souffle. « Personne ici n'est serein ». L'ancien ostréiculteur a de bonnes raisons de s'inquiéter. Depuis plusieurs années, la mer gagne inexorablement du terrain sur cette partie occidentale du littoral normand connue pour ses huîtres de pleine mer, ses plages sauvages et son tourisme familial. « En 40 anson a perdu 100 mètres devant la route de la côte et l'érosion s'accélère ».

Non que les élus de la ville (3.300 habitants) soient restés les bras croisés. Ils ont tout tenté pour préserver les deux campings et le groupement ostréicole situés en arrière du cordon dunaire. En 2017, la municipalité est allée jusqu'à épandre des dizaines de géotubes, sortes de gros boudins remplis de sable à son pied. Las ! Les big bags sont restés impuissants face à la tempête Ciara en 2020. Sur cette seule année, la côte a reculé de 13 mètres à certains endroits. Depuis, 20.000 tonnes de blocs rocheux et une centaine de pieux ont été installés sur la plage. Bon an mal an, ce rempart parvient à résister mais pour combien de temps ? « Si on a une marée de 120 avec 150 kilomètres heure de vent, il est fort possible que ça ne tienne pas », prédit Jean-Pierre Legoubey, maire délégué de Gouville.

Un programme expérimental

Mais que faire face à cette impasse ? Reconstruire obstinément les ouvrages de protection ou adopter une posture plus long-termiste ? Les élus locaux ont choisi la seconde option, quitte à susciter l'incompréhension de certains de leurs administrés. Lorsque le ministère de la transition écologique a proposé en 2021 d'accompagner des projets expérimentaux, la communauté de communes de Coutances a saisi la main tendue. Comme ses homologues de Lacanau et Saint-Jean-de-Luz, elle a signé avec l'Etat un Programme Partenarial d'Aménagement (PPA) : un nouvel outil pensé pour aider des collectivités littorales à recomposer leur territoire. En clair, à faire avec la mer plutôt que de lutter contre.

Dans le cas de la Manche, le PPA englobe un linéaire de côte de 11 kilomètres et concerne trois communes -Gouville, Agon-Coutainville et Blainville- particulièrement vulnérables. Pour autant, il n'a pas été simple de se résoudre à relocaliser les constructions menacées. Étienne Danglejan, chef du projet à la communauté de communes, peut en témoigner. « Il faut une sacrée détermination politique pour anticiper de cette manière », souligne-t-il. Une sacrée détermination et une bonne dose de patience.

Un scénario en 2024

Au terme de trois ans d'études et de diagnostics, un scénario de recomposition devrait être adopté au second semestre de l'an prochain. Beaucoup d'interrogations restent sans réponse à ce stade. Où déplacer les 400 emplacements des deux campings et la vingtaine de hangars conchylicoles sans hypothéquer leur activité ? Comment désensabler des estuaires côtiers qui ont perdu leur vocation de « vases d'expansion » ? Où implanter d'éventuelles digues ? Avec quels schémas de circulation et quels réseaux d'assainissement ? .... Et l'on en passe.  « Avant la stratégie de défense se décidait à l'échelle communale et au doigt mouillé, décrypte Louis Teyssier. Dorénavant, on ne cède plus à la facilité mais cela prend du temps et cela demande de faire évoluer collectivement notre approche ».

Confirmation à l'Établissement Public Foncier de Normandie (EPFN). Signataire du PPA, celui-ci a été chargé de repérer puis d'acheter les terrains propices à la relocalisation des activités économiques le temps qu'ils soient rétrocédés. Lui aussi doit anticiper. « C'est un mode d'intervention très en amont nouveau pour nous, explique Jean-Baptiste Bisson, son numéro 2. Il pose la question de notre exposition au risque puisque nous allons acquérir du foncier et le porter sur une durée indéterminée qui pourra atteindre 10 voire 15 ans ».

« Nous savons qui appeler »

L'exemple de l'EPFN le montre. La panoplie réglementaire va devoir évoluer face au nouveau risque que constitue l'avancée de la mer. En attendant, les élus coutançais se félicitent de l'écoute attentive que leur accordent les administrations publiques. Les portes se sont grandes ouvertes, constate Jean-Pierre Legoubey. Pour lui, c'est même l'un des aspects les plus positifs du programme. « On ne monte plus des dossiers pour rien. Le PPA a complètement changé nos relations avec les services de l'Etat. Maintenant nous savons qui appeler ». A méditer.

Reste aux exécutifs locaux à rassurer leurs administrés car sur le terrain, on sent une certaine impatience. Propriétaire du florissant camping Belle Etoile de Gouville, Luc Catherine s'est fait à l'idée que ses installations, acquises en 2010, vont migrer plus à l'intérieur des terres mais il espère être rapidement fixé sur son sort. « Je reste confiant parce qu'on travaille bien avec la commune mais l'attente est inconfortable », confie-t-il. La rançon d'un projet novateur.

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Commentaires 3
à écrit le 04/09/2023 à 10:03
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Le titre de l'article est trompeur: ce n'est pas la montée des eaux c'est l'érosion des côtes. L'Angleterre expérience le même problème depuis des années.

à écrit le 04/09/2023 à 9:26
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Cela va faire comme le réchauffement climatique à savoir certaines zones bien plus touchées que d'autres sans qu'il soit possible de les anticiper pleinement.

à écrit le 04/09/2023 à 7:56
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Il n'y a malheureusement qu'une solution ,reculer toutes les constructions actuellement proches de la mer aussi loin que possible. On ne peut absolument rien pour lutter contre la modification du trait de côte.

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